
La série fait notamment écho, avec beaucoup de cœur, aux appréhensions du moment. | Capture d’écran YouTube via Netflix
«Social Distance», écrite et tournée pendant le confinement, est une des premières productions à refléter notre nouvelle réalité.
Décidément, 2020 n’en finit pas de nous surprendre. Si on m’avait demandé, il y a quelques jours, de choisir entre regarder une série Netflix sur des gens confinés pendant la pandémie de Covid-19, ou sniffer du verre pilé au wasabi, j’aurais probablement choisi la deuxième option.
Cela fait maintenant presque huit mois que notre monde a basculé dans une réalité quasi-dystopique. Depuis le début, mon refuge, et celui de milliers d’autres personnes, a le plus souvent été l’évasion offerte par la fiction: j’ai eu ma phase séries pour ados, ma phase comédies romantiques, ma phase récits post-apocalyptiques, ou encore ma phase films des années 1950 parce que le monde, c’était mieux avant. J’ai même lu Dune. Mais il semblerait que l’heure du déni soit terminée. Après tous ces détours, il s’est avéré que Social Distance, nouvelle série de fiction sur la pandémie, était exactement ce dont j’avais besoin.
Chaque épisode d’une vingtaine de minutes suit de nouveaux personnages américains pendant leur confinement, chacun faisant face à son lot de difficultés, d’angoisses et d’absurdité. Dans le troisième volet, une aide-soignante dans un Ehpad, incarnée par Danielle Brooks (Taystee dans Orange is the new black), doit s’occuper d’une patiente récalcitrante, tout en surveillant sa fille, restée seule à la maison sans nounou, depuis son téléphone. Dans le cinquième épisode, un des plus émouvants, un père tente de ne pas craquer face à son fils alors que sa femme, atteinte du Covid, reste confinée dans une chambre de la maison.
Parmi les autres protagonistes, on trouve une infirmière retraitée qui prête main forte à l’hôpital malgré le désaccord de son mari, un alcoolique anonyme qui a du mal à gérer la solitude du confinement, une famille qui se retrouve sur Zoom pour l’enterrement du patriarche, ou encore deux hommes en couple qui ne se supportent plus à cause de la promiscuité du confinement. Si les deux premiers volets sont un peu bancals, le reste de la série est étonnamment réussi. Au lieu de se limiter à des blagues un peu nazes sur l’utilisation de Zoom («non Jean-Mi, tu es sur silencieux, il faut te unmuter»), la série offre un reflet sincère et curieusement touchant de la période hors-norme que nous sommes en train de vivre.
Une série tournée à distance
Créée par Hilary Weisman Graham et produite, entre autres, par Jenji Kohan, Social Distance rassemble, du côté de l’écriture comme de la réalisation, de nombreux ancien·nes d’Orange is the new black. La série a été conçue et tournée entre avril et juin 2020, et chaque épisode était dirigé à distance par un réalisateur ou une réalisatrice différente.
Comme les actrices et acteurs étaient bloqués chez eux, ils ont dû se filmer eux-mêmes, le plus souvent avec un iPhone envoyé par la production, faisant parfois intervenir certains proches avec qui ils étaient confinés: au casting, on retrouve ainsi la mère de Danielle Brooks, le père d’Asante Blackk (Dans leur regard), ou encore Becky Ann Baker et Dylan Baker, qui incarnent un couple de retraités.
Pour raconter ces multiples histoires et compenser l’absence de caméras traditionnelles, la réalisation s’appuie sur les outils technologiques utilisés au quotidien par les personnages: leurs appels vidéo, leurs réunions Zoom, mais aussi leurs feeds Instagram, leurs recherches Google ou encore leurs caméras de surveillance. Bien sûr, le procédé n’est pas nouveau. Depuis le début de la crise, Zoom a déjà été utilisé par Hollywood, notamment pour des réunions d’acteurs et actrices de programmes cultes comme Parks and Recreation ou Une nounou d’enfer.
Ces lectures de scripts virtuelles ont eu le mérite, pendant les premiers mois de la pandémie, de tenir tout le monde occupé, et de nous injecter une petite dose de nostalgie bienvenue. Malheureusement, elles n’étaient qu’un ersatz déprimant d’œuvres adorées mais révolues, et créaient une forme de dissonance entre le passé auquel elles se raccrochaient désespérément et la situation actuelle. Social Distance, elle, va au-delà du déni ou de la nostalgie, et crée quelque chose de neuf en restant solidement ancrée dans la réalité.
Un effet apaisant
On l’a plus que jamais compris ces derniers mois: l’art permet de voyager et de nous évader, notamment lorsque la réalité est trop morose ou dure à encaisser. Mais voir notre propre expérience reflétée à l’écran peut aussi offrir une catharsis plus que nécessaire, nous donner le sentiment d’être validé·e. Réaliser que la réalité totalement absurde dans laquelle on vit depuis presque un an est maintenant devenue assez normale pour être reflétée dans une série Netflix a quelque chose d’étrangement apaisant.
Les personnages de Social Distance font les mêmes gestes que nous (reculer quand quelqu’un s’approche à moins d’un mètre ou mettre du gel hydroalcoolique). Ils ont les mêmes conversations («Ça va?» «Ouais. Enfin, non.»), les mêmes routines et les mêmes anxiétés que nous. Je pensais que la série m’angoisserait; en fait, elle m’a soulagée. Il y a peut-être de ça, aussi, dans l’irrépressible addiction que certain·es d’entre nous avons développée aux JT, aux articles d’infos anxiogènes et aux allocutions du gouvernement: le besoin d’imprimer, de manière répétée, le fait que tout ceci est bien réel. Qu’il ne s’agit pas d’une hallucination collective mais bien de notre nouvelle réalité.
Dans l’avant dernier épisode, où deux ados se font la cour par Tik Tok et jeux vidéo interposés, l’un d’entre eux propose un futur date, «après le Covid». Une phrase douloureusement familière pour la plupart d’entre nous, agrippé·es à la promesse de futurs voyages, mariages ou soirées en boîte pour endurer les restrictions actuelles. Mais plus le temps passe, moins cette notion «d’après le Covid» paraît tangible. Plus les mois passent, et plus il apparaît évident qu’il n’y aura pas vraiment de retour en arrière. Le virus est là pour durer, et il va falloir apprendre à le gérer, dans nos nouvelles vies comme dans nos nouvelles créations culturelles.
Capsule temporelle
Cet été, Nicholas Braun, plus connu comme l’acteur qui incarne le cousin Greg dans la série Succession (OCS), a enregistré une chanson humoristique sur les anticorps qui permettraient d’être immunisée contre le virus. Le morceau s’est rapidement transformé en tube de l’été, parce qu’il était drôle et entraînant. Sans doute, aussi, parce qu’il s’agissait d’une des premières productions culturelles à rebondir avec intelligence sur l’absurdité du moment.
Social Distance aussi trouve l’humour dans notre nouvelle réalité. Mais elle fait également écho, avec beaucoup de cœur, aux appréhensions du moment: la solitude, la peur de perdre son travail ou de perdre ses proches. La série intègre même, de manière un peu gauche, les soulèvements populaires après les morts de Breonna Taylor et George Floyd. Pour le meilleur et pour le pire, Social Distance veut être une capsule temporelle, un aperçu même imparfait de ce que le monde a vécu au printemps 2020.
Comme l’explique sa créatrice, «je voulais juste quelque chose où les gens verraient leur vie reflétée, qui nous aiderait à l’accepter. Qui nous aiderait à rire, à pleurer, peu importe l’émotion, parce qu’en tant qu’êtres humains, on a besoin d’histoires pour apprendre à digérer nos vies et nos émotions.» La série n’est pas là pour dédramatiser ou nous faire oublier les traumatismes de ces derniers mois, au contraire, elle nous aide à les accepter.
Difficile de dire si la série aura bien vieilli dans quelques années.
Les meilleurs volets de Social Distance sont ceux qui se basent simplement sur le besoin d’interaction, preuve s’il en fallait que même dans un monde confiné, le lien humain reste notre moteur. Chaque épisode démarre d’ailleurs par un court générique dans lequel on aperçoit des gens se balader dans la rue main dans la main, danser, jouer au golf, assister à une cérémonie de remise de diplômes ou encore pique-niquer: autrement dit, s’adonner à des activités sociales dont le monde a été subitement coupé en mars dernier. Comme pour nous rappeler ce qui nous manque, des gestes simples, insouciants, et pourtant cruciaux.
Difficile de dire si la série aura bien vieilli dans quelques années. Il s’agit plutôt d’une expérimentation en temps réel, une étude des rapports humains dont l’absence de prétention et la justesse émotionnelle rappellent le côté fait maison d’une autre excellente série Netflix, Easy. Certes, elle n’échappe pas à quelques maladresses: le jeu des différents acteurs et actrices n’est pas toujours harmonisé, et les épisodes sont inégaux. Certains interprètes ne sont pas professionnels et la mise en scène minimaliste fait parfois un peu théâtre filmé. Mais ce qui reste remarquable, c’est la capacité qu’a eue l’équipe de scénaristes à capter les émotions et les angoisses de cette période. En ces circonstances nouvelles, Social Distance fait comme nous: du mieux qu’elle peut.