Article publié sur leparisien.fr

A défaut d’avoir conçu un vaccin contre le Covid, la France veut en produire sur son sol. Le gouvernement a déjà débloqué 460 millions d’euros d’aides, dont une partie servira à fabriquer le principe actif pour les vaccins nouvelle génération à ARN messager.
« Vous voyez nos machines ? Il y a trente ans, elles étaient toutes françaises. Aujourd’hui, c’est au mieux allemand ou italien. Et demain ? Difficile à dire. » Philippe Truelle, président du laboratoire Chaix et du Marais (CDM), se désole de cette perte de compétence de la France, qui s’est traduite par un gigantesque mouvement de désindustrialisation. À la ministre chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher, qu’il accueillait ce jeudi dans son usine de production de médicaments, à la Chaussée-Saint-Victor (Loir-et-Cher), il explique pourquoi il tient tant à augmenter ses capacités.
« Dès le mois de mars de l’année dernière, nous avons répondu à une explosion de demande de médicaments antalgiques injectables, notamment de la morphine, pour le traitement contre la douleur ou les anesthésies des personnes en réanimation et intubées », explique-t-il. Rebelote en novembre et décembre quand l’entreprise a dû faire face à une demande très importante de solutions d’humidification pour les respirateurs employés en réanimation. Là encore, la production a été multipliée par dix. « Et enfin, plus récemment, avec le lancement de la campagne de vaccination, reprend le président, nous avons dû fournir en urgence 100 000 ampoules injectables de chlorure de sodium aux hôpitaux et aux médecins de ville, explique encore Philippe Truelle. Le chlorure de sodium est utilisé pour reconstituer le vaccin Pfizer-BioNTech au moment de l’injection des six ou sept doses. Ce qui représente donc entre 600 000 et 700 000 doses. »
Développer de nouvelles capacités de production
CDM, 125 salariés pour un chiffre d’affaires annuel de 15,2 millions d’euros, a ainsi été identifié comme l’une des 17 entreprises pouvant répondre à l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé par le ministère de l’Économie en juin 2020 et doté initialement d’un budget de 120 millions d’euros. Face au nombre de dossiers déposés, une première rallonge de 40 millions a rapidement été décidée. Puis une nouvelle rallonge, de 300 millions d’euros cette fois, est budgétée en février dernier, gonflant l’enveloppe à 460 millions. CDM va ainsi toucher 1,591 million d’euros au titre de l’accompagnement financier dans son projet de développement. « De quoi augmenter nos capacités de production de 30 millions de médicaments produits chaque année à 50 millions d’ici à 2023, précise Philippe Truelle. Et répondre ainsi encore mieux à la demande exponentielle de médicaments ou de composants liés au Covid-19. »
Pour les pouvoirs publics, il s’agit de développer de nouvelles capacités de production, y compris du principe actif à destination des vaccins ARN Messager. « La lutte contre cette pandémie, c’est à la fois un sprint et une course de fond, analyse Agnès Pannier-Runacher. Un sprint car il y a urgence. Chaque jour compte. Nous répondons à cette urgence grâce à ces appels à projets, lancés largement en amont, dès le printemps 2020, pour augmenter le plus rapidement possible les capacités de production de la France. »
Bercy prêt à accorder une nouvelle rallonge
La course de fond, selon la ministre, c’est tout le travail effectué par le gouvernement sur le long terme pour reconstituer un tissu industriel français. « Il s’agit pour nous de revenir sur trente ans d’incurie en termes de recherche et d’industrialisation, fustige-t-elle. La France a perdu sa place de leader européen sur les produits pharmaceutiques. Et sa part de marché dans le monde a été divisée par deux. Notre perte de savoir-faire est absolument considérable. Sans ces 460 millions d’euros d’aide, pas une seule dose de vaccin ne serait sortie d’une usine française à part Sanofi. »
Ainsi, Delpharm, qui a lancé le 7 avril le flaconnage du Pfizer-BioNTech dans son usine de Saint-Rémy-sur-Avre (Eure-et-Loir), a bénéficié de ce programme d’aides. Emmanuel Macron a d’ailleurs prévu de se rendre sur le site ce vendredi, accompagné d’Agnès Pannier-Runacher. Son concurrent, le suédois Recipharm, qui démarrera le flaconnage du Moderna à Monts (Indre-et-Loire) normalement avant la fin du mois, fait également partie des 17 entreprises sélectionnées.
Tout comme CordenPharma à Chenôve, près de Dijon (Côte-d’Or), que le commissaire européen en charge de l’Industrie Thierry Breton a visité dimanche dernier. « 460 millions d’euros, cela représente déjà un investissement conséquent pour le pays, estime la ministre en charge de l’Industrie. Mais s’il faut remettre la main au pot, pour des projets qui en valent la peine, le gouvernement n’hésitera pas. »