Article publié sur lexpress.fr
Face à l’arrivée des variants, les modèles mathématiques laissent craindre une explosion de l’épidémie en mars. Quelles solutions ? Confiner ? Allonger les vacances scolaires ? Cinq chercheurs analysent la situation pour L’Express.

Au 25 janvier, la situation épidémique continue de s’améliorer dans presque toute l’Europe, à l’Exception de quelques pays, dont la France. MétéoCovid/SPF/OurWorldInData
Avec environ 20 000 cas positifs et 1600 hospitalisations chaque jour depuis une semaine, la situation épidémique en France inquiète. Certes, le niveau de circulation du virus est encore loin du pic du 7 novembre – plus de 54 000 cas positifs et 2800 hospitalisations -, mais ce “plateau de contamination”, qui augmente progressivement, n’a rien de rassurant. D’autant qu’un nouveau paramètre entre en compte : l’arrivée sur le territoire national du variant britannique, plus contagieux que les souches classiques.
Cette plus forte contagiosité implique qu’il supplante progressivement les autres souches. Les spécialistes redoutent donc qu’une troisième vague survienne lorsqu’il deviendra majoritaire. Dès lors, faut-il imposer un confinement et si oui, quand ? Doit-il être strict, impliquant une fermeture des écoles ? Ou faut-il au contraire attendre le potentiel effet bénéfique du couvre-feu à 18h et renforcer les mesures déjà mises en place ? Une chose est sûre, depuis la semaine dernière, le gouvernement multiplie les sorties médiatiques – avec une maladresse certaine – pour préparer la population à cette éventualité. Mais qu’en pensent les scientifiques ? L’Express fait le point.
Comment les chercheurs anticipent la troisième vague
Plusieurs chercheurs ont réalisé des études afin de comprendre comment ce variant pourrait faire exploser l’épidémie. A l’Inserm, l’épidémiologiste Vittoria Colizza et son équipe ont utilisé un modèle mathématique permettant de calculer différents scénarios. Leur outil se base à la fois sur “les données hospitalières, ainsi que la prévalence du variant britannique en France, obtenue grâce aux résultats de la première enquête Flash”, explique la chercheuse. Cette enquête, menée au début du mois de janvier, a permis de révéler que le variant britannique représenterait environ 1% des souches du virus en circulation sur le territoire. “Nos résultats – publiés le 16 janvier dernier – nous permettent d’estimer que la date à laquelle le variant britannique deviendra majoritaire en France se situera entre fin février et mi-mars”, estime Vittoria Colizza. Des résultats qui concordent avec ceux de l’Institut Pasteur, publiés le 13 janvier, selon lesquels le variant britannique pourrait devenir majoritaire après le 1er mars.
Dans le modèle de l’Inserm, l’hypothèse est que le variant serait 50 à 70% plus contagieux, comme indiquent les premières analyses menées sur cette souche. Que se passera-t-il, alors, lorsqu’elle deviendra majoritaire ? “Nous devons nous attendre à subir une troisième vague dans les semaines qui suivront”, avance Vittoria Colizza. Autrement dit, si la circulation du virus ne baisse pas d’ici-là, une troisième flambée épidémique pourrait se produire entre début et fin mars. “Si nous parvenons à diminuer l’incidence de l’épidémie actuelle, nous diminuerons l’impact de l’épidémie de demain, mais pour l’instant, nous nous trouvons sur un niveau d’incidence élevé, alors si nous ajoutons 50% de contagiosité supplémentaire, cela provoquera l’équivalent du pic de novembre dernier.”

Nouveaux cas Covid-19 en France du 1er avril 2020 au 25 janvier 2021. Meteo-covid.com
Désireuse d’affiner ses résultats et d’obtenir une fourchette temporelle plus précise, Vittoria Colizza prévoit de mener une nouvelle simulation prochainement. “Elle prendra en compte les données les plus récentes, dont celles liées à l’effet du couvre-feu à 18h [qui pourrait stopper la progression observée ces derniers jours, NDLR], précise l’experte. Mais nous savons après un an d’expérience que plus les mesures sont strictes et prises tôt, plus elles ont un impact et plus nous gagnons de temps.” Cette nouvelle modélisation se basera également sur les résultats de la deuxième enquête Flash, qui commence ce mardi 26 janvier. “Elle permettra d’obtenir une meilleure idée de la progression du variant britannique, mais aussi de détecter les variants d’Afrique du Sud et du Brésil”, précise Bruno Lina, professeur de virologie au CHU de Lyon et membre du Comité scientifique, qui promet que les prochaines enquêtes “seront de plus en plus précises”.
Pour contrôler l’épidémie, “il faut nécessairement fermer les écoles”
Quelles mesures faut-il prendre et quand faut-il les appliquer ? “Les scénarios développés par l’Inserm me semblent crédibles, mais il faut rappeler qu’il ne s’agit pas de prévisions, nous ne sommes pas capables de prédire le futur, rappelle Antoine Flahault, épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à la faculté de médecine de l’université de Genève. Et au Danemark, où le variant britannique a pris le dessus, l’épidémie continue de diminuer [grâce à des mesures drastiques qui ont provoqué de vives tensions, NDLR].” Cela signifierait-il que la plus forte contagiosité du variant a été surestimée ? “Il existe de récents travaux qui indiquent qu’il pourrait être 30 à 40% plus contagieux plutôt 50 à 70%, mais il reste toujours difficile de déterminer ces chiffres en raison des multiples facteurs en jeu”, note l’épidémiologiste.
Alors pourquoi les rumeurs sur un confinement numéro trois grondent depuis plusieurs jours ? “Peut-être parce que nous sommes en train d’envisager un changement de stratégie, suggère le spécialiste. Le ‘vivre avec le virus’ est épuisant économiquement et sur le plan du moral, le fait de ne pas avoir de perspective donne l’impression d’un jour sans fin.” Ce fameux ‘vivre avec’ pourrait également se révéler dangereux, selon lui. “Si vous vaccinez aujourd’hui les personnes âgées à risque, elles seront soustraites de l’encombrement des hôpitaux, mais si vous laissez parallèlement un tel niveau de circulation du virus – entre 20 et 25 000 cas par jour -, vous allez vous placer dans une situation potentiellement explosive chez les moins de 65 ans qui ne sont pas encore vaccinés”, alerte-t-il. Ce qui explique la nécessité de reprendre le contrôle sur l’épidémie dès maintenant, et notamment en abaissant le taux de reproduction du virus, le fameux R.
“Selon nos travaux, le R en France se situe autour de 1,10. Si vous avez un R à 1, il y a stagnation du nombre de cas, si vous l’abaissez à 0,9, vous diminuez de moitié le nombre de cas tous les mois, détaille le spécialiste. En revanche, avec un R à 0,7, vous diminuez de moitié toutes les semaines : en France, il serait alors possible de revenir à 5000 cas par jour en 2 semaines. Pour y parvenir, un long confinement n’est pas forcément nécessaire, mais il devra être strict, ce qui passera nécessairement par la fermeture des écoles, ce qui tombe bien puisque les vacances de février se profilent.” L’idée est d’autant plus valable que les stations de ski étant fermées et le couvre-feu maintenu à 18h, les déplacements devraient être limités. Néanmoins, l’expert propose de “rassembler ces vacances”, afin qu’elles se déroulent au même moment pour toutes les zones, ou de les prolonger d’une semaine ou deux…

Moyenne des hospitalisations pour Covid-19 du 28 octobre 2020 au 25 janvier 2021. Meteo-Covid.com
Un sujet assurément explosif. “Sur le plan de l’épidémiologie, c’est avec ces mesures que l’on pourrait reprendre la main et se diriger vers une stratégie zéro Covid en s’inspirant davantage des modèles asiatiques – confinement strict mais localisé, aucune tolérance envers la circulation du virus, traçage rétrospectif, etc.”, estime Antoine Flahault. Sauf que les mesures imposées depuis des mois pèsent sur la population. “Un problème d’adhésion à un confinement pourrait se poser, redoute Vittoria Colizza, qui ajoute néanmoins que, “si l’on regarde le taux de reproduction en Irlande et au Royaume-Uni, les données montrent qu’après la fermeture des écoles, le R effectif est repassé en dessous de 1 : il s’agit d’une expérience importante à prendre en compte pour les prochaines évaluations.”
“Il faut se laisser du temps”
Faut-il en conclure que, pour éviter une troisième vague en février ou mars, il convient d’imposer un confinement strict de deux, voire quatre semaines, pendant le mois de février et les vacances scolaires ? D’autres chercheurs estiment qu’il est possible d’actionner d’autres leviers avant d’en arriver là. C’est le cas de Virginie Orgogozo, chercheuse en génétique de l’évolution et membre d’Adios Corona, un collectif de chercheurs français engagés dans la vulgarisation des questions scientifiques portant sur le Sars-CoV-2. “Il faut se laisser le temps, la situation actuelle n’est pas aussi dramatique qu’en mars 2020, les Français ont fait beaucoup d’efforts depuis des mois et cela porte ses fruits, souligne-t-elle. Globalement, le R reste stable, il convient de rester vigilant, mais il nous reste encore un peu de marge.” D’autant que les mesures les plus récentes, comme le couvre-feu à 18h ou l’obligation d’un test PCR négatif pour les voyageurs arrivant en avion en France n’ont pas encore eu le temps de faire leur effet. L’épidémie pourrait donc diminuer ces prochains jours ou semaines.
Une lueur d’espoir qui permettrait de repousser le confinement strict, qui constitue une mesure de la dernière chance selon la chercheuse. “Les effets psychologiques néfastes de la crise actuelle ne cessent d’augmenter et pour certains, un troisième confinement serait extrêmement difficile à vivre, avance Virginie Orgogozo. D’un autre côté, il faut avoir en tête aussi la situation hospitalière qui même si elle n’a pas atteint la situation critique du printemps dernier est compliquée à cause de la fatigue généralisée des cliniciens.” Afin d’éviter un confinement, la chercheuse pour la mise en place de nouvelles mesures ou le renforcement de celles déjà en place, comme la généralisation de l’usage de masque plus filtrant (FFP2), voire leur imposition dans les espaces clos. “Une étude montre qu’un centimètre d’espace entre le masque et la peau réduit l’efficacité d’un masque de 60%, détaille la chercheuse. Nous pouvons donc insister sur ce point et mieux communiquer sur le port du masque.”
Renforcer les contrôles à l’école et dans les hôpitaux
Les hôpitaux pourraient également faire l’objet d’une surveillance plus étroite, puisqu’un bulletin de Santé Publique France publié en novembre 2020 montre que sur 2074 signalisations de Covid-19, 1780 concernait des cas nosocomiaux, c’est-à-dire des infections qui sont survenues à l’hôpital ou après une prise en charge hospitalière. “Une personne qui sort de l’hôpital va souvent voir ses proches, cela peut accentuer le risque de propagation, résume-t-elle. Il me semble donc important de mettre en place des tests salivaires RT-PCR des patients juste avant leur sortie de l’hôpital.” Le protocole mis en place dans les écoles pourrait également être renforcé. Aujourd’hui, il faut attendre que trois élèves de fratries différentes soient positifs avant d’isoler une classe pendant sept jours. “Pourquoi attendre trois élèves et pas seulement un ?”, s’interroge la chercheuse.
De son côté, Didier Sicard, professeur de médecine et ex-président du Comité consultatif national d’éthique, milite pour une meilleure gestion des informations épidémiologiques. “Ce qui comptera dans l’adhésion de la population à d’éventuelles mesures plus strictes sera une meilleure explication des enjeux et les raisons”, pointe-t-il. Or selon lui, la France pêche dans de nombreux domaines. Le séquençage du virus, qui permet de déterminer précisément la proportion des différents sur le territoire, est encore insuffisant. “L’étude des eaux usées, qui permet de trouver des traces de virus et ainsi anticiper une future flambée de l’épidémie, mais aussi d’effectuer facilement des prélèvements pour le séquençage : il s’agit d’un outil majeur pourtant sous-utilisé”, regrette le professeur. Néanmoins, comme l’a révélé L’Express, le réseau Obépine a annoncé, lundi 25 janvier, “la libération et la publication des données relatives à la détection de Covid-19 dans les eaux usées de certaines villes françaises”. Un premier pas encourageant.