Les vendanges sont rentrées, l’ensoleillement sera favorable à la qualité du millésime. Malgré les difficultés dues à la crise sanitaire, à la sécheresse et à la hausse des droits de douane, c’est traditionnellement un moment de fête !
Article publié sur le site de France Culture

Dionysos Akratophóros, « celui qui sert du vin pur »• Crédits : Getty
La Gerbaude, dans le Bordelais, du nom de la gerbe de fleurs que l’on plaçait sur la dernière charretée de la moisson, la Paulée en Bourgogne, la R’voule dans le Beaujolais, le Cochelet en Champagne, parce qu’on faisait boire un coq lâché, ivre, au milieu des convives… La fin des vendanges est partout synonyme d’agapes bien arrosées.
Microbes et tannins
La revue LeRouge&leBlanc s’intéresse au sylvaner, cépage typiquement alsacien, « victime de tous les débordements productifs », dont trop souvent le « caractère délicat et subtil s’est dilué avec les hectolitres ». Sonia Lopez Calleja s’est attardée dans le Zotzenberg, un terroir qui lui a valu son accession au rang de grand cru en 2005. Le sylvaner est né au Moyen Âge d’un croisement entre le savagnin et l’österreichisch weiss, dans l’est de l’Autriche. Plutôt fragile face aux gelées, il est très sensible à l’oïdium et à l’esca, moins au mildiou et à la pourriture grise. Mais champignons et bactéries ne sont pas tous nocifs, bien au contraire et pourraient même constituer une solution « pour une agriculture moins dépendante des engrais et des produits phytosanitaires ». C’est ce que révèle le passionnant entretien avec Marc-André Selosse, biologiste, botaniste et mycologue au Museum national d’Histoire naturelle. Le champignon, par exemple, grâce à ses filaments microscopiques formant le mycélium accroché aux racines, « étend considérablement le volume de sol exploré, ce qui coûte moins cher à la plante que de fabriquer de la racine ». Et lui « permet d’augmenter l’efficacité d’exploration du sol et d’aller chercher des éléments peu mobiles, comme certains minéraux », mais également l’eau. Et c’est donnant-donnant puisque le champignon se nourrit aussi de cette symbiose. Et il protège non seulement la racine mais la partie aérienne de la plante, en émettant des antibiotiques pour lutter contre les pathogènes. Enfin, sa « présence entraîne une réponse de la plante qui accumule des défenses, notamment en fabriquant des tannins ». Or, les tannins assurent « la couleur, l’arôme, le goût et le toucher ». Par leur faculté de s’agripper aux protéines, notamment celles des muqueuses, « puis de s’en libérer petit à petit pour aller activer vos récepteurs olfactifs », participant ainsi à « la longueur en bouche ». Ils s’attachent aussi à la salive, la raréfiant momentanément : sans ce lubrifiant, « vous sentez la rugosité de vos muqueuses : c’est ce qui fait l’astringence », « une sensation mécanique, un toucher ».
Libations et agapes
Le vin est né autour de la méditerranée. Les archéologues confirment ce moment de l’épisode biblique du Déluge, qui fait s’échouer l’arche de Noé sur la cime du Mont Ararat, dans l’ancienne Arménie, à la suite de quoi – je cite la Genèse – « Noé, le cultivateur, commença à planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda sous sa tente ». Un euphémisme pour dire qu’il s’est adonné à la luxure, en l’occurrence à l’inceste, comme le suggère le Lévitique. Pour les anciens Égyptiens, l’alcool était associé au sexe et « copuler signifiait picoler », nous rappelle Mark Forsyth dans Une brève histoire de l’ivresse, publié aux Éditions du Sonneur. L’auteur, spécialiste d’étymologie – et aussi en l’occurrence d’éthylisme – fait un plaisant tour d’horizon des pratiques sociales de l’ivresse, depuis les temps les plus reculés et sur tous les continents. Les Grecs avaient ainsi une tradition bien établie : celle du « symposion ». On commençait par souper, « des plats simples, avalés en vitesse et en silence. La nourriture ne comptait pas vraiment – elle ne servait qu’à éponger le vin. » Puis on choisissait le symposiarque, qui présidait la soirée arrosée, le plus souvent l’hôte des lieux. Après les libations commençait la beuverie. Et là, vous n’aviez plus le choix. Tout le monde était tenu de terminer son bol et d’accepter d’être resservi.
Mark Forsyth évoque Platon, qui « pensait que si l’on peut se fier à un type qui est ivre, on peut se fier à lui en toute circonstance ». À la fin de son plus fameux dialogue, Le Banquet, « les convives gisent ici et là, ivres morts, à l’exception de Socrate ». Socrate, l’homme qui boit mais qui va droit, serait le modèle des philosophes qui « rêvent à la fois de s’enivrer d’absolu et de maîtriser l’ivresse » commente Jean-Luc Nancy dans son beau livre sur le sujet. Ayant bu comme un trou, il part au matin sans chanceler pour arpenter en solitaire les bords du gouffre qu’il a ouvert devant tous : « connais-toi toi-même », cette promesse de vertiges présage d’une ivresse qui précèderait toutes les autres car elle ouvre en chacun un ailleurs d’inquiétante étrangeté, la possibilité d’une chute libre, ou comme dit le philosophe, d’« une rupture de digue par où ça peut couler ».