Dans le monde du vin, le sexisme coule à flot

Article publié sur Slate.fr

Le milieu du vin n’est pas qu’un univers de mecs. Au contraire, il est peuplé de femmes, mais qui sont assignées à rester dans l’ombre. Certaines d’entre elles ont décidé d’en sortir.

Fleur Godart a monté sa boîte avec en tête l’idée qu’un groupe de femmes fait moins peur qu’une seule dans ce milieu. | Clémentine Passet pour Gaze Magazine

Dès le début de ma relation avec le vin, j’ai compris. J’étais toute jeune, je signais un contrat agricole: j’allais passer une année les pieds dans les vignes pour comprendre comment on fait du vin. C’est là que j’ai fait la rencontre d’une pieuvre. Une mère, reine en son domaine viticole, qui voyait en moi une menace pour ses garçons et ne supportait pas que je ne sois pas cachée comme il se doit. Par sa suspicion permanente, cette femme m’a dit: «Ici, les femmes travaillent dans l’ombre et les récompenses sont pour les hommes.» Bienvenue dans le monde du vin. Je me suis fondue dans l’attitude humble et discrète des femmes de l’univers paysan qui est le mien. Elles qui accomplissaient toutes les tâches les plus ingrates de la vigne, sans pour autant avoir le droit de toucher au tracteur.

Les femmes étaient exclues du lieu du vin, de peur qu’elles «perturbent» avec leurs hormones les fermentations.

Les femmes qui, au chai, nettoyaient les tuyaux, les pompes, les machines, pour que les hommes puissent accomplir leur noble tâche de vinification, mais qui n’étaient pas admises dans le lieu du vin, de peur qu’elles «perturbent» avec leurs hormones les fermentations. Les femmes qui faisaient l’intendance pour les équipes de vendanges. Les femmes qui s’acquittaient des tâches administratives, la comptabilité, la douane, tenaient la boutique, sans pour autant avoir une place sur l’étiquette.

Seule au milieu des hommes

Puis, loin des tracteurs, Paris: j’ai commencé à vendre les vins. Sur les salons, il y avait des femmes partout, mais nous étions posées là, comme de belles bouteilles, il fallait «bien présenter», jouer un peu la séduction. Quand j’en ai eu marre de supporter des types suintants et ivres à la mi-journée, j’ai rejoint les cavistes. Partout où j’arrivais, je venais remplacer une femme qui était partie. Toujours la seule femme, entourée d’hommes, comme si une place c’était bien assez et qu’on y était interchangeables.

Chez Marc Sibard (Caves Augé, Paris), je prenais la place d’une femme qui avait été harcelée et agressée. Je la remplaçais auprès du type libidineux responsable de son départ. Au Vin en Tête (Paris) encore, j’étais la seule femme. Jusqu’à l’arrivée d’une tornade. Une autre qui pour la première fois ne se positionnait pas en rivale mais s’intéressait à moi, pas pour mes capacités de potiche mais pour ce que j’avais à dire. C’était la première fois que je rencontrais une femme libre.

Sur les salons nous étions posées comme de belles bouteilles, il fallait «bien présenter», jouer la séduction.

Toutes les deux, on prenait des trains, on allait découvrir des domaines, parfois douze en quatre jours. Là, j’ai retrouvé les figures du monde viticole que je connaissais. Des mères, des épouses, dans une immense solitude, sans cesse ramenées à des rôles secondaires. Mais cette fois, je n’étais plus seule: on arrivait à deux, et le fait d’être deux, dans leurs yeux, désamorçait toute suspicion de séduction. On mettait un point d’honneur à les inclure à toutes nos conversations, à valoriser leur travail, à s’émerveiller de leurs compétences, à s’intéresser à elles. Elles étaient interloquées: personne ne s’intéressait jamais à elles.

Ce qui nous lie

J’ai monté ma boîte avec en tête l’idée qu’un groupe de femmes fait moins peur qu’une seule dans ce milieu. J’ai commencé à m’intéresser aux femmes du vin et à leur solitude, elles qui souvent sont laissées dans des coins sombres au point de se sentir menacées par la lumière d’une autre. Et je me réjouis que ça commence à bouger chez la jeune génération qui passe moins par les écoles de sommellerie et donc fait l’impasse sur la case du formatage.

Alors bien sûr, ça avance à deux vitesses. Il y a nos réflexions de filles qui ont le temps de réfléchir, et la vie de celles dans les domaines, qui n’ont pas le loisir de se poser tant de questions.

Si on peut créer des ponts entre les deux mondes du vin, c’est en tissant un lien entre les femmes qui s’y trouvent.

Quand on discute avec Maria du Beaujolais, qui n’a jamais vu la mer et qui se dit que peut-être un jour son mari l’emmènera, on dit «sororité»et elle pense sûrement que c’est un légume…

Mais si on peut créer des ponts entre ces deux mondes du vin plutôt que de les éloigner, c’est certainement en tissant un lien entre les femmes qui s’y trouvent. On suggérera peut-être même à leur mec, entre deux verres de Côte-Rôtie, d’ajouter «Monique» devant «Marcel» sur l’étiquette. C’est la moindre des choses pour toutes les Monique qui charbonnent dans l’ombre en attendant que les Marcel prennent la lumière.

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