Entre défiance et restrictions, quel avenir pour le vaccin AstraZeneca ?

Article publié sur marianne.net

Les personnes de moins de 55 ans ayant déjà reçu une dose d’AstraZeneca se verront proposer un vaccin différent pour la seconde dose. Dans certains départements où le virus sud-africain circule de manière importante, la Haute Autorité de Santé (HAS) recommande de ne pas l’utiliser. Indispensable aux objectifs de vaccination, le sérum va-t-il rester en rade ?

La tempête n’en finit pas pour AstraZeneca. Réservé dans un premier temps aux moins de 65 ans, faute de données sur son efficacité chez les plus âgés, il a ensuite été élargi aux seniors… avant de se voir réservé aux plus de 55 ans après que de rarissimes cas de thromboses, parfois mortelles, ont été observés chez des sujets plus jeunes en Europe. Mercredi 7 avril, l’agence européenne du médicament (AEM) a d’ailleurs reconnu que les caillots sanguins devraient être répertoriés comme un effet secondaire « très rare » du Vaxzevria (nom commercial du vaccin).

Quid des moins de 55 ans ayant reçu une première injection (533 000 personnes) ? La Haute Autorité de Santé (HAS) a tranché ce vendredi 9 avril : un vaccin à ARN messager leur servira de rappel, soit les formules de Pfizer et Moderna. De quoi réduire encore le nombre de personnes éligibles à l’injection du vaccin suédo-britannique. D’autant plus que le même jour, l’autorité sanitaire a recommandé de ne pas l’utiliser en Moselle, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion. En cause, cette fois : son efficacité moindre contre le variant sud-africain, qui circule particulièrement dans ces départements. En Moselle, il était responsable de 35 % des cas détectés fin mars. Dans les trois autres départements concernés, la proportion monte à 40 à 48 %.

“DES PATIENTS ÉVITANTS”

De fait, son efficacité face aux nouveaux variants du Sars-Cov-2 ne joue pas en sa faveur. Le 9 avril, Hong Kong a suspendu sa commande. « Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire qu’AstraZeneca livre les vaccins à la ville dans le courant de l’année », a déclaré Sophia Chan, ministre locale de la Santé. « Les campagnes d’essais ont eu lieu avant l’installation des variants : nous savions donc qu’ils modifieraient très probablement les stratégies vaccinales », explique Étienne Decroly.

Mais c’est surtout la défiance à son égard qui pourrait mener au gâchis de fioles. En France, il est avant tout distribué dans les pharmacies et cabinets de médecin généraliste. Charge à ces professionnels d’écouler les 2,5 millions de doses que le pays recevra d’ici le 6 juin, d’après le site Covid Tracker. Les soignants faisant état de rendez-vous décommandés se multiplient. « Forcément, on craint que les gens n’en veuillent pas, on voit bien qu’il est déjà plus difficile de le prescrire, raconte Jacques Battistoni, président du syndicat de médecins généralistes MG France. Les patients sont évitants, retardent l’échéance de la vaccination en espérant une autre formule, s’interrogent sur les futures arrivées… Seuls les plus pressés d’être protégés acceptent volontiers le vaccin AstraZeneca ».

UNE DÉFIANCE QUI VA JUSQU’AU TRIBUNAL

À Calais, des fioles ont été boudées le week-end dernier. Il a fallu attendre mercredi pour les écouler. Le 8 avril, une enquête Odoxa-Backbone Consulting réalisée pour Le Figaro soulignait que 71 % des Français se méfient désormais du vaccin britannique.

Certains poussent le rejet plus loin encore. À Orléans, le tribunal administratif a rejeté le 8 avril la requête d’un habitant souhaitant choisir son produit anti-Covid. Nul besoin de préciser que l’intéressé préférait Pfizer à AstraZeneca, le seul à lui avoir été proposé sur la plateforme Doctolib, argumentant notamment sur les effets secondaires du vaccin. Comme l’explique à Marianne Caroline Lantero, maître de conférences à l’Université Clermont Auvergne en droit public, le tribunal administratif a estimé qu’il « n’est pas établi qu’AstraZeneca est moins efficace que les autres » vaccins. Ne pas proposer une formule alternative à ce vaccin ne porte donc pas « atteinte au droit à des soins appropriés ».

“DES DOSES POURRAIENT SE RETROUVER INUTILISÉES”

La situation pourrait être particulièrement problématique après le 16 avril. À cette date, les injections seront possibles pour toutes les personnes de plus de 60 ans, quel que soit leur état de santé. « À ce moment-là, on redoute clairement que les rendez-vous Pfizer et Moderna partent beaucoup plus vite que ceux d’AstraZeneca… », rapporte Jacques Battistoni.

« Des doses pourraient se retrouver inutilisées », déplore Jacques Battistoni. À la veille de l’été, les livraisons des deux vaccins à ARN devraient fortement augmenter, alors que le produit de Johnson & Johnson montera progressivement en puissance. Mais d’ici là, AstraZeneca reste un allié indispensable. « On ne peut pas se passer de lui si on veut atteindre les objectifs, les autres ne suffiront pas » ajoute Jacques Battistoni. Le gouvernement a promis 20 millions d’immunisés mi-mai, 10 millions de plus un mois après.

UN VACCIN EFFICACE

Dans l’œil du cyclone, on oublierait presque l’incontestable efficacité de la formule. « Le public retient prioritairement les effets secondaires extrêmement rares et absents pour le vaccin Pfizer, plutôt que l’efficacité », regrette le président du syndicat de médecins généralistes MG France. Le produit permet d’éviter 76 % des contaminations. Surtout, il est efficace à 94 % contre le risque de formes graves, d’après une étude écossaise. Mais l’histoire l’a montré : quand le doute est jeté sur un vaccin, revenir en arrière est presque mission impossible.

Comment éviter cette issue ? « En rappelant que d’autres médicaments, comme la pilule, présentent des risques, sans que l’on remette pour autant en cause leur efficacité », conclut Jacques Battistoni. Les nouveaux revirements risquent pourtant d’accroître l’impression de tâtonnements. « Justement, à mon sens, cela montre que les autorités sanitaires suivent la situation de manière très rigoureuse, et changent les protocoles avec une rapidité exceptionnelle quand c’est nécessaire, analyse Étienne Decroly. Peu de gens ont l’habitude de raisonner en fonction de la balance bénéfice risque : l’idée d’un risque zéro, surtout pour les vaccins, est très répandue ».

Plus encore, les très rares cas de thromboses observés ne pouvaient être prévus par les essais cliniques. « Ils ont inclus 20 000 personnes, or la fréquence des thromboses est beaucoup plus faible. On parle de quelques cas sur des millions de vaccinés », continue le spécialiste. Impossible, dans ces conditions, de les détecter de manière significative avant l’injection à très grande échelle.

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