Dans le cas d’un confinement de longue durée, la France pourrait s’inspirer de l’Australie pour communiquer

Article publié sur huffingtonpost.fr, le 17/11/2020

Quelles bonnes pratiques ont été mises en place dans le Victoria pour communiquer et est-ce que les dirigeants français pourraient les appliquer?

Aux leaders politiques français maintenant de non seulement mettre en adéquation les objectifs et les moyens mis en œuvre, mais aussi de trouver la construction narrative la plus adaptée pour ces longs mois d’hiver.

CONFINEMENT – La France, comme de nombreux pays européens, est confrontée à un dilemme: faut-il confiner sévèrement dans les semaines à venir pour sauver les fêtes de Noël et l’économie au risque de voir le virus réapparaître lors d’une potentielle troisième vague ou bien instaurer des restrictions plus longues et certainement plus bénéfiques d’un point de vue sanitaire, mais dont la contrepartie économique paraît exorbitante?

À l’heure actuelle, aucun pays européen ne semble envisager un confinement dans la durée et il y a peu d’exemples d’un tel confinement dépassant les quelques semaines. À ce titre, l’Australie, et plus particulièrement Melbourne et la région du Victoria, font figure d’exception.

Après sept mois de fortes restrictions, dont plus de trois mois de confinement, Daniel Andrews, le Premier ministre du Victoria a annoncé fin octobre une levée des mesures les plus coercitives qui s’allégeront encore mi-novembre jusqu’à un retour presque ”à la normale” pour les fêtes de fin d’année.

Laissons de côté les explications sanitaires et demandons-nous comment un leader politique peut-il confiner ses administrés dans la durée. Quelles bonnes pratiques ont été mises en place dans le Victoria pour communiquer et est-ce que les dirigeants français pourraient les appliquer?

La conférence de presse quotidienne ou le jeu de la transparence absolue

Beaucoup pensent que la rareté de la parole politique d’un chef d’État ou de gouvernement est une vertu importante, et peut-être encore plus en ces temps d’hyperterritorialisation de toute information. Le Premier ministre du Victoria a donné un rendez-quotidien aux journalistes et aux habitants du Victoria pour les tenir informés de l’évolution du virus sur le territoire, des mesures en place et des mises à jour, le cas échéant, des restrictions.

Si d’aucuns ont été lassés de cette omniprésence du leader politique, d’autres y ont vu une transparence nécessaire pour imposer des restrictions de long terme dans le cadre d’une stratégie d’éradication du virus. Il aurait été inconcevable pour la plupart des Melbourniens que dans le cadre d’un confinement sur la durée, le dirigeant politique ne se montre qu’aux grandes messes pour annoncer les principales étapes du confinement. Certes cette transparence n’a pas convaincu l’ensemble de la population et pour les farouches opposants, le jeu de la transparence n’aurait servi qu’à justifier une politique disproportionnée au vu de la situation sanitaire.

Cependant elle a servi de ciment au martèlement quotidien des éléments de langage du Premier ministre du Victoria, d’autant que cette parole politique bénéficiait d’une unité et d’un appui marqué de la part de la communauté scientifique, bien moins morcelée qu’elle n’apparaît en France.

“We are all in this together” ou la transcendance collective de l’effort

Fin juillet, donc quelques jours après le début du second confinement, les chiffres d’infection COVID-19 étaient quasi-similaires en France et dans le Victoria: 720 nouveaux cas [1]. Comment se fait-il alors que Daniel Andrews ait réussi à imposer sans quasiment aucune opposition, politique ou de la rue, un confinement aussi strict?

Plus qu’une contrainte imposée, le confinement a été perçu comme une transcendance collective de l’effort: le “We are all in this together” (“Nous sommes tous ensemble concernés”) a été un axe de communication primordial pour faire adhérer la population aux restrictions imposées. Il s’agissait moins de l’idée que tous étaient égaux (ou bien en danger) face à la maladie que d’un dommage collatéral qui allait toucher l’ensemble et donc contre lequel chacun devait assumer sa part au combat: les plus âgés qu’il fallait protéger, car étant les plus vulnérables, les familles qui allaient devoir faire l’école à la maison (certaines pendant six mois!), les jeunes à qui on allait enlever toute opportunité de socialisation (restaurants et cafés seulement autorisés à faire de la vente à emporter), les professions médicales qui devaient n’assurer que les consultations vitales, etc. Et même le Premier ministre qui s’engageait dans une course de fond en affrontant les caméras et les 6.7 millions d’habitants du Victoria quotidiennement.

A contrario de la France, la notion d’activité essentielle ou non essentielle n’a jamais été contestée. Elle a évolué en parallèle de l’évolution épidémiologique et de ses implications pour la population: à titre d’exemple, au plus fort de l’épidémie, les écoles ne sont restées ouvertes qu’aux enfants dont exclusivement les deux parents travaillaient dans des secteurs considérés comme essentiels et dont l’activité ne pouvait se faire que sur site, ainsi qu’aux enfants considérés comme vulnérables selon une liste de critères extrêmement sélectifs.

Cette idée d’implication collective a été d’autant plus renforcée que le pays entier s’est isolé (officiellement les frontières australiennes sont encore fermées aux étrangers et les Australiens ne peuvent quitter le territoire national) et que les États fédérés entre eux se sont fermé les uns aux autres créant de facto des sentiments d’appartenance exacerbés des habitants pour leur propre région.

“Do the right thing” ou la morale anglo-saxonne

Le sentiment de vivre une aventure collective ne peut expliquer à lui tout seul l’acceptation de la population à ce confinement sans fin. Après tout, l’effet inverse aurait pu se produire: un rejet en masse et collectif du programme déroulé par le Premier ministre du Victoria. C’était sans compter sur un deuxième axe de communication: la morale.

L’autre expression entendue pendant ces mois de confinement était “Do the right thing” (“Faire la bonne chose”). Cette injonction morale venait s’inscrire en parfaite complémentarité du sentiment d’appartenance collective évoquée: non seulement les Melbourniens étaient tous dans le même bateau, mais en plus ils faisaient ce qu’il fallait faire quant au respect des consignes du confinement.

Et “faire la bonne chose” à tout prix. Dans une déclaration du 12 septembre faite à Sky News, Daniel Andrews allait même jusqu’à déclarer que les problématiques liées aux droits de l’homme n’étaient pas la priorité sous un “disaster state” (équivalent d’état d’urgence en France). Une déclaration impensable dans l’hexagone, mais qui reflète bien la direction pointée par la boussole du leader australien.

Aux leaders français de trouver la bonne narration

Une chose frappante dans le cas de Melbourne est que personne n’a remis en cause l’adéquation entre les objectifs affichés et les moyens mis en œuvre. Le Premier ministre du Victoria n’a d’ailleurs jamais pris ni la capacité d’absorption des hôpitaux ni le nombre de malades en réanimation comme une clé de voûte de sa narration et des indicateurs à suivre, mais s’est concentré sur le nombre de cas et l’efficacité du système de traçage (par opposition à la France où la focale a davantage été mise sur la résilience du système de soins et des personnels hospitaliers).

Le cadre fixé a été très contraignant et le confinement le plus long du monde aura certainement des conséquences de long terme, sur la santé mentale par exemple. Mais l’engagement du Premier ministre du Victoria Daniel Andrews et les axes de communication développés autour de la “transcendance collective de l’effort” et de la “bonne chose à faire” ont rendu ce confinement réalisable sur le long terme.

Sans s’aventurer sur le terrain sanitaire, on peut dire que la gestion de la crise à Melbourne a été acceptée parce que les dirigeants politiques ont su raconter une histoire et y faire adhérer la population. Une population bien moins encline que les Français à descendre dans la rue pour protester.

Aux leaders politiques français maintenant de non seulement mettre en adéquation les objectifs et les moyens mis en œuvre, mais aussi de trouver la construction narrative la plus adaptée pour ces longs mois d’hiver.

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