Une ambulance dans le vignoble bordelais?

Article publié sur le blog geographiesenmouvement

Une ambulance pas pour tirer dessus. Mais pour tenter de résoudre une crise interminable du vin de Bordeaux qui a humilié la filière en août lorsqu’elle s’est résignée à distiller sept cents mille hectolitres pour fabriquer… du gel hydroalcoolique.

Il y a déjà dix ans, l’épaisse carte des vins d’un très bon restau parisien comptait pas moins de 200 références et… aucune de bordeaux. Le sommelier se défendait en arguant du fait que le privilège de Bordeaux de 1530 avait interdit la vente des vins d’autres régions avant le 11 novembre. De fait, le vignoble avait bâti sa prospérité en partie sur le malheur des autres.

Aujourd’hui, la situation s’est retournée et la filière vin de Bordeaux connaît les affres d’une crise qui dure, qui dure… Les grands vins tirent leurs bouchons du jeu, mais in petto, on parle d’arrachage. Les millésimes « excellents » ont beau se succéder grâce à une météo généreuse, derrière les masques bleus confinés, la distillation est pratiquée sur l’équivalent de 10% de la production annuelle. Et qui n’a pas été surpris de trouver des bouteilles de Bordeaux dans les foires aux vins à moins de 2 euros ?

Pour autant, faut-il résumer la situation à deux chiffres ? (1) Plus d’un million d’hectolitres reste sur les bras des viticulteurs. Et une hausse des prix qui a suivi le gel de 2017 faisant perdre des marchés au moment où 2018 était excellente, à l’échelle mondiale. Revoilà l’excuse de la taxe Trump, ou encore des taxes qui plomberaient les bordeaux en Chine face aux vins chiliens et australiens libres de droits.

La vérité est que l’orgueilleuse Bordeaux pensait savoir mieux que quiconque ce qu’était un bon vin. Or, les vins de Bordeaux ont perdu beaucoup de leur personnalité à force de travailler avec des œnologues aux méthodes américaines. Non, ce n’est pas la faute aux amateurs qui aiment toujours autant le vin à table, mais en se passant de bordeaux. Des questions qui fâcheraient à table : pour quelles raisons les châteaux ont snobé le bio ? Que penser d’un Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) voulant stimuler les blogueurs, les sommeliers, les cavistes si le vin de Bordeaux ne plaît pas ? Dans quelle région se moque-t-on à ce point du consommateur ? Ceux qui préfèrent payer deux à trois fois plus cher un flacon bio seraient-ils des imbéciles ?

Écoutons les grands prêtres qui nous certifient que les deux tiers du vignoble sont conformes à une « haute démarche environnementale » (HVE) en pleine guerre des pesticides dans le vignoble. Le message se perd dans les sables de la Gironde. Voilà ce qui empourpre Virginie Morvan, qui sélectionne les achats chez Lavinia (1) : « Je ne supporte pas ce Bordeaux bashing, qui est injuste et néglige l’excellent travail de quantité de vignerons ». On ne demande qu’à voir une interprofession prendre des mesures courageuses sur les intrants. Si Bernard Farges, le président du CIVB veut faire son «coming out’ et montrer [les] gueules de vignerons » (1), les quadras attendent de voir.

Un lien de cause à effet ? Les pesticides sont dans la ville… Avant l’élection de Pierre Humic (EELV).

Covid ou non, la perception des amateurs vis-à-vis de l’alimentation de masse, véhiculée par la grande distribution, a changé. Quand bien même la loi de modernisation de l’économie de Sarkozy en 2008 a permis aux distributeurs d’accroître leur présence dans les villes, les buveurs de vin ne veulent pas de ces vins standards qui ne donnent aucune émotion, qui ne racontent rien d’une exploitation invisible derrière la marque du château. Qui sont-ils, les 5700 viticulteurs dont un quart « coopèrent » collectivement, les autres travaillant en direct ou passant par un puissant négoce ? Leur âge moyen très élevé laisse penser que le passage au bio ne sera pas facile. Et comme les repreneurs ne se pressent pas au portillon, il va falloir travailler à changer le modèle.

Les monocultures sont-elles condamnées ? C’est probable. Le « local » est une martingale qui ne se marie pas avec la production de masse. Bordeaux a été trop gourmande et doit faire le ménage dans les 57 appellations AOC dont l’acronyme ne dit plus rien aux amateurs. Les grands groupes de négociants (Castel, Magrez, etc) poussent, sans doute, en catimini à l’arrachage, mais certains résistent et ne voient pas la surproduction. Pendant que d’autres rêvent de partir à l’assaut de la forteresse CIVB pour faire le ménage dans les « mauvaises vignes » polluées aux intrants.

L’ambulance est bien dans le vignoble. Pas besoin de tirer dessus. Comme pour les cas Covid, elle attend qu’une part des vignerons monte dedans.

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(1) F. Niedercorn, Le Monde, 16 septembre 2020.

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